2.3. Une géographie planétaire de la biodiversité
A l'échelle planétaire, la géographie de la biodiversité s'explique essentiellement par la variété des climats et la disposition des grands reliefs (chaînes de montagnes). Quelques règles simples ont pu cependant être mises en évidence par les chercheurs.
2.3.1. Gradients et lois de répartition
A l'échelle mondiale, les écosystèmes forment de vastes ensembles de communautés animales et végétales organisés selon un gradient latitudinal, essentiellement climatique, des pôles vers l'équateur : toundras, forêts boréales (taïga), forêts tempérées caducifoliées, forêts méditerranéennes, déserts, savanes et forêts tropicales...
[F25-1, F25-2, F25-3]
A une échelle plus fine, il existe aussi de très nombreux milieux spécifiques : sources hydrothermales, milieux hypersalés, rivages marins, etc... Toujours à l'échelle locale, il faut prendre en compte l'hétérogénéité des structures paysagères (lisières, écotones, îlots, bosquets…), qui favorise la diversité des habitats et la richesse en espèces. A l'inverse, la banalisation et l'uniformisation des paysages se traduit généralement par une forte diminution du nombre d'espèces. On a clairement mis en évidence l'existence d'un gradient de biodiversité croissante des pôles vers l'équateur. Par exemple, on peut dénombrer 10 espèces de fourmis vers 60° de latitude nord, entre 50 à 100 vers 40°N et plus de 200 espèces vers 20°N. Pour les oiseaux, on passe de 56 espèces nicheuses au Groenland - ce qui déjà est loin d'être négligeable ! -, à 105 à New York, 469 au Guatemala et 1395 en Colombie. Selon R. Barbault (1997), les forêts tropicales, qui ne couvrent que 6 ou 7% des terres émergées, renfermeraient plus de 50% des espèces végétales connues, et peut être même jusqu'à 90%. Cette biodiversité se distribue aussi verticalement au sein de la forêt, une grande partie étant concentrée dans la canopée, non loin de la cime des arbres. Un record de biodiversité a été observé à terra firme, dans la forêt équatoriale d'Equateur, où sur un seul hectare ont été recensés 1561 arbres appartenant à 473 espèces différentes (Roger Dajoz, 2008). On soulignera cependant que la biodiversité tropicale est depuis longtemps largement influencée par l'action des hommes et que la forêt « vierge » amazonienne en réalité ne l'est pas : deux millénaires avant notre ère, les habitants de l'Amazonie pratiquaient déjà l'agriculture et cultivaient maïs, manioc et haricot. Toutefois, ce gradient latitudinal n'est pas régulier. Ainsi, le bassin méditerranéen, situé entre 30 et 40° de latitude nord, est plus riche que le désert saharien situé plus au sud. On peut attribuer cette richesse à plusieurs facteurs : rôle de refuge joué par les rives de la Méditerranée lors des périodes glaciaires de l'ère Quaternaire, fragmentation du relief multipliant les habitats, ancienneté de l'anthropisation débouchant sur une mosaïque d'espaces agricoles et semi-naturels (garrigues, maquis…). Le bassin méditerranéen représente aujourd'hui, à lui seul, 10% de la biodiversité végétale mondiale pour seulement 1,6% de la surface terrestre, soit 25 000 à 30 000 espèces et sous-espèces environ (Médail et Quezel, 2003).
Par ailleurs, biologistes et écologues ont tenté d'établir des lois générales à propos d'espaces circonscrits, présentant de faibles possibilités d'échange avec l'extérieur. La théorie de la biogéographie insulaire (Wilson et Marc Arthur, 1967) cherche par exemple à établir un lien entre biodiversité, étendue de l'île et distance au continent le plus proche. Elle s'appuie sur la loi aire-espèces - qui veut que plus la superficie d'une île est grande, plus elle renferme d'espèces - et intègre le taux de renouvellement des espèces au sein de l'île, résultat conjoint de phénomènes locaux d'extinctions et de l'immigration d'espèces à partir du continent voisin. Le taux de renouvellement d'espèces est ainsi plus faible dans des îles éloignées du continent que dans des îles proches. A l'origine conçue comme devant s'appliquer aux seules îles océaniques, on a cherché à tester la validité de la théorie dans le cas d' « îles » continentales telles que des massifs montagneux isolés entourés par des plaines. Globalement, cela semble fonctionner, mais il y a de nombreuses exceptions, particulièrement lorsque l'homme est venu perturber les écosystèmes. C'est par exemple le cas des îles méditerranéennes, anthropisées depuis 8000 ans.
2.3.2. Hotspots et coldspots
Les « hotspots » ou « points chauds » constituent des espaces où une biodiversité élevée, par ailleurs associée à un fort pourcentage d'espèces endémiques, est exposée à de fortes menaces. Cette approche a été développée dans les années 1990 par un scientifique britannique, Norman Myers, qui a dans un premier temps distingué 10 points chauds planétaires, chiffre porté au début des années 2000 à 25, puis aujourd'hui à 34.
[F26]Les 34 hotspots de la biodiversité planétaire (source : Conservation International)
L'ONG Conservation International a fait de la défense des points chauds de la biodiversité son cheval de bataille. Réalisé à l'échelle mondiale, le travail d'identification des points chauds peut tout aussi bien s'effectuer à l'échelle d'un pays, voire d'une région. Le bassin méditerranéen, hotspot planétaire, présente ainsi ses propres points chauds régionaux (Alpes maritimes ou Kabylie algérienne par exemple). Et dans l'espace fortement anthropisé des grandes plaines céréalières du bassin parisien, les bosquets résiduels sont autant de petits points chauds de la biodiversité. Quelle que soit l'échelle, l'objectif est de cibler des zones prioritaires dans la mise en place d'actions visant à préserver la biodiversité Les points chauds mondiaux se localisent préférentiellement dans les zones tropicales et subtropicales. En vertu de la théorie de la biogéographie insulaire, les îles et les milieux montagnards sont fortement représentés. Parmi les plus connus, citons Madagascar et les îles voisines (Comores, Mascareignes) avec un taux d'endémisme de 80 à 90% pour les plantes. Sur les 30 espèces de primates présentes dans ces îles, 28 sont endémiques. Les zones pauvres en biodiversité, situées essentiellement dans les régions froides et dans les régions désertiques, sont parfois appelées « coldspots ». Toutefois, cela ne signifie aucunement que ces milieux sont dépourvus d'intérêt écologique. C'est une critique pouvant être faite à l'encontre de l'approche par les points chauds, qui focalise l'attention du grand public et des décideurs sur de petites parties du monde, et peut donner le sentiment qu'en dehors des points chauds, il est possible de faire n'importe quoi. D'autres critiques portent sur l'absence d'intégration à la définition des points chauds des contextes économiques, sociaux ou culturels, bref, une vision trop étroitement marquée par la biologie.