3. Gestion et conservation de la biodiversité et de l'agrodiversité

3.2. Une multiplication des outils de protection de la biodiversité


La volonté de protéger espaces naturels et espèces remonte à la fin du XIXe siècle. Ce furent d'abord des sociétés savantes et des associations qui se préoccupèrent de la préservation d'espèces animales ou végétales emblématiques - grand panda, lynx, loutre, sabot de Vénus -, avant de s'intéresser à la préservation de leurs biotopes.

 

3.2.1. La protection des espèces


Depuis des siècles, les hommes ont constitué des collections d’êtres vivants pour les observer ou les utiliser. C’est le cas des zoos et des jardins des plantes qui se sont multipliés à partir du XVIIIe siècle. Aujourd’hui, plus de 1100 parcs zoologiques sont fréquentés par plus de 600 millions de visiteurs dans le monde. Ils jouent un rôle important dans la préservation ou la reproduction d’espèces menacées ou disparues à l’état sauvage (cheval de Przewalski de Mongolie, grand panda, tigre de Sibérie…).

Toutefois, la réintroduction d’espèces connaît un bilan mitigé. On recense sans doute quelques belles réussites, comme la réintroduction dans les années 1980 du vautour dans les Grands Causses du Massif Central (près de 200 couples d’oiseaux aujourd’hui), ou celle du rhinocéros blanc en Afrique australe. Mais beaucoup de réintroductions suscitent des polémiques, notamment celles des grands prédateurs en France comme l’ours brun ou le lynx. On pourrait également évoquer le cas des espèces invasives, souvent issues d’introductions volontaires ou non. C’est le cas du ragondin, du vison d’Amérique ou du frelon asiatique pour les animaux, de la jussie, de la renouée du Japon ou de la balsamine de l’Himalaya pour les végétaux.

Certains pays ont pris très tôt des mesures de protection, comme les réserves créées au XVIIIe siècle dans la forêt de Bialowieza en Pologne, à l’initiative du roi, afin de protéger le bison d’Europe.

Des espèces protégées peuvent également provoquer de vives controverses, comme l’osmoderme, petit scarabée saproxylique1 de 3 cm, protégé au nom de la Directive Natura 2000 (inscrite à l’annexe 1). Le chantier de l’autoroute Alençon-Tours, qui constituait une menace pour cette espèce, dut être arrêté plusieurs années.


Selon le degré de menace et de vulnérabilité, on classe internationalement (UICN) les espèces en :

  • espèces disparues pour lesquelles il n’y a plus eu d’observation depuis une période significative.

  • espèces en danger ou en voie de disparition : espèces à seuil critique et dont la survie est peu probable.

  • espèces vulnérables dont les effectifs sont en forte régression.

  • espèces rares dont la répartition géographique est limitée.

  • espèces en statut indéterminé pour lesquelles les informations sont insuffisantes pour préciser le statut.

[F28-1, F28-2]

 

3.2.2. Le millefeuille de la protection des espaces naturels


L’objectif est ici plus large puisqu’au-delà de la protection des espèces pour elles mêmes, les préoccupations portent sur la préservation du milieu où elles se vivent. Il ne s’agit pas d’une simple mise sous cloche et il faut veiller à maintenir les activités agro-sylvo-pastorales, tout en gérant au mieux les flux touristiques afin d’éviter une surfréquentation préjudiciable.

Le plus ancien espace protégé, le parc national du Yellowstone aux Etats-Unis, a été créé en 1872. La France ne créa quant à elle son premier parc national, en Vanoise, qu’en 1963. Les premières réserves naturelles remontent au début du XXe siècle.

Le nombre des espaces protégés ne cesse de s’accroître. On recense aujourd’hui plus de 4000 parcs nationaux dans le monde pour une superficie totale supérieure à 4,4 millions de km². On estime que 13,5% de la surface mondiale des terres émergées correspond à des aires protégées. Mais les océans, avec moins de 1% de leur surface en aires protégées, restent les grands oubliés.

 

3.2.3. L'hétérogénéité des protections réglementaires françaises


La France compte aujourd’hui une quarantaine d’outils juridiques de protection d’espaces naturels, qu’ils soient réglementaires, contractuels ou internationaux. Une telle diversité ne va pas sans poser des problèmes de lisibilité, voire d’incohérence (superposition ou empilement des protections), d’où la nécessité d’une harmonisation non seulement à l’échelle nationale mais aussi à l’échelle européenne.

Après la seconde guerre mondiale, l’Etat va se lancer dans une politique - d’abord très ponctuelle -  de « sauvetage » de la nature, dans laquelle seront surtout ciblés des espèces en voie de disparition ou des milieux naturels très menacés. Seront ainsi créés des espaces de forte protection : Réserves Naturelles en 1957 puis Parcs Nationaux en 1960, ces derniers aujourd’hui au nombre de 10. Les Parcs Naturels Régionaux, créés en 1967, relèvent d’une logique plus culturelle (au sens large), visant à concilier aménagement des territoires, développement local et valorisation de l’environnement, du paysage et du patrimoine. Ils sont issus d’une demande locale ou régionale et n’ont pas de cadre règlementaire. Le succès de cette mesure est patent : au 1er janvier 2012, 47 PNR avaient été créés (le dernier en date, Parc Naturel Régional des Ardennes, a été crée le 21 décembre 2011). [F29-1, F29-2]

Les Parcs Naturels Régionaux en France (source : Fédération des Parcs Naturels Régionaux de France)

 

Avec la création du ministère de l’environnement en 1971, la politique nationale de protection de la nature s’attache à sauvegarder non seulement les espèces animales et végétales mais aussi les espaces naturels dont elles dépendent. C’est dans ce contexte qu’est votée la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature qui fait de celle-ci une obligation juridique et qui, pour la première fois, déclare que « la protection du patrimoine naturel est d’intérêt général ». En plus de la « rénovation » des réserves naturelles, la loi de 1976 est à l’origine de deux nouveaux outils de protection qui se sont par la suite bien développés : les arrêtés préfectoraux de protection de biotope et les réserves naturelles volontaires, devenues aujourd’hui réserves naturelles régionales. Actuellement, on recense en France plus de 4000 espaces protégés à des titres divers, représentant environ 3,5% du territoire national.

 

3.2.4. La protection de la biodiversité en Europe

 

Au niveau européen, les mesures sont également très nombreuses. Le réseau Natura 2000 est le plus emblématique [F30].

F30

Natura 2000, réseau de sites naturels

Créé par la Directive CEE « habitat faune/flore » de 1992, il vise à constituer un réseau autour des sites naturels les plus remarquables (pelouses sèches, zones humides, falaises, milieux forestiers…), fondé sur la typologie Corine biotope et sur une liste d’habitats et d’espèces prioritaires (annexes 1 à 4 de la Directive). Ce réseau s’articule autour des Zones Spéciales de Conservation (ZSC) (habitat faune/flore) et des Zones de protections spéciales (ZPS) établies pour les oiseaux depuis la directive de 1979. Il représente environ 17% du territoire européen, dans lesquels les habitats doivent être préservés ou restaurés par des mesures contractuelles comme les mesures agri-environnementales (MAE).

 

3.2.5. La préservation de la biodiversité à l'échelon mondial

 

Il existe au moins une vingtaine de textes internationaux consacrés à la préservation de la biodiversité.

Le texte majeur est la Convention sur la diversité biologique signée à Rio en 1992 lors du sommet de la Terre. Elle traduit une nouvelle conception de la protection, devenue « gestion de la biodiversité », intégrant conservation des espèces et des espaces dans une vision plus vaste de l’aménagement des territoires qui concilie environnement et développement.

Cette convention fixe trois objectifs principaux : la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de celle-ci et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques. En 2002, les 183 Etats signataires se sont engagés à mettre fin à l’érosion de la biodiversité en 2010. Cet objectif n’a certes pas été atteint, mais des instruments internationaux ont été développés.

La dernière Convention sur la diversité biologique s’est tenue du 18 au 29 octobre 2010 à Nagoya au Japon. Trois engagements ont été pris à cette occasion :

 

  • l’adoption d’un plan stratégique visant à freiner le rythme de disparition des espèces d’ici 2020. En plus de cette recommandation déjà faite en 1992 et 2002, il y a un objectif de préserver les habitats particulièrement menacés (forêts, savanes, récifs coralliens, zones humides…). De même, les stocks de poissons devront être mieux gérés, les subventions néfastes à l’environnement devront être supprimées. En 2020, 17% des superficies terrestres et des eaux intérieures devront être préservées et 15% des écosystèmes dégradés devront être restaurés. Les étendues marines ne sont pas oubliées, avec un objectif de 10% de leur superficie classée en aires protégées.

  • des engagements financiers devront être pris. Ainsi, le Japon s’est engagé à consacrer 2 milliards de dollars sur 3 ans en faveur de la biodiversité. La France versera 500 millions d’euros à partir de 2013 en faveur du développement. Toutefois, il subsiste un certain flou dans la façon dont les fonds seront mobilisés.

  • l’adoption du protocole APA (Accès aux ressources et Partage des Avantages) est révélateur de l’importance des enjeux économiques liés à la biodiversité. Aboutissement de 8 années de négociations, le protocole prévoit un accès facilité aux ressources génétiques et un partage équitable des avantages tirés de leur exploitation. Dans la ligne de mire, notamment, la biopiraterie, soit l’exploitation des ressources génétiques des pays du Sud par des groupes industriels des pays du Nord, sans retombées économiques pour les populations locales. La convention encourage les « non-parties » (les Etats-Unis sont particulièrement visés) à signer ce protocole. Certains points ne sont toutefois pas éclaircis : possibilités de compensations, modalités des prospections et rétroactivité du dispositif.

Un deuxième texte est la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) ou Convention de Whashington. Celle-ci vise, depuis sa signature en 1973, à réguler le commerce d’espèces sauvages. Ainsi, ce sont près de 5000 espèces animales et 28 000 espèces végétales qui sont protégées au niveau international. Elle regroupe 170 Etats.

Le troisième texte est la Convention de Ramsar signée en 1971 et qui a pour objectif de préserver les zones humides les plus remarquables au niveau international. Celles-ci rendent en effet de nombreux services écologiques (assainissement des eaux, prévention des inondations, régulation climatique) et constituent des réserves de biodiversité et des stocks d’eau douce considérables. Cela représente plus de 1900 sites et près de 900 millions d’hectares. La France est représentée, par exemple, par la Camargue, les marais du Bessin, les étangs de Brenne ou la Champagne humide.

Toutefois, il ne s’agit là que de conventions qui ne sont pas assujetties à des contraintes.

 

3.2.6. Restauration des habitats et continuités écologiques


Essentiel 3 : Pastoralisme et gestion des estives dans les Pyrénées

Fragmentation et hétérogénéité des paysages ne sont des facteurs favorables à la biodiversité que dans la mesure où la connectivité des habitats est assurée. Le rôle clé des corridors écologiques (haies, ripisylves…) est mis en avant dans le nouveau concept de trame verte et bleue (TVB). Pour favoriser le maintien de ces corridors, divers aménagements sont réalisés : échelles à poissons pour les espèces migratrices (saumon, alose, anguille), « crapauducs » pour le passage des amphibiens sous les routes, passerelles spécifiques au dessus des autoroutes et des lignes de train à grande vitesse, etc. [F31]

Mais bien d’autres actions sont aussi nécessaires : réenclencher le processus de fabrication de récifs coralliens, lutter contre la fermeture de certains milieux ouverts comme les pelouses sèches caussenardes, restaurer les zones humides et les tourbières… Il faut souligner les efforts déployés depuis plusieurs années pour réhabiliter les gravières excavées dans le fond des grandes vallées fluviales, qui fournissaient et fournissent encore des matériaux à l’industrie du bâtiment et des travaux publics. Des opérations relevant de l’ « ingénierie écologique » sont susceptible d’en faire en quelques années des milieux d’un grand intérêt sur le plan de la biodiversité.

L’agriculture est bien évidemment concernée. Des opérations, telles que « ferti-mieux » en France visent à réduire la pollution des cours d’eau due aux épandages excessifs d’engrais. La nouvelle politique agricole commune (PAC) de 2014 devra prendre en compte un certain niveau de biodiversité par exploitations (haies, bosquets, mares, bandes enherbées, prairies permanentes, pelouses sèches…).

Au niveau de l’urbanisation, il faut veiller à économiser l’espace en maîtrisant l’étalement urbain et en construisant de façon plus compacte et dense.


1 Qui se nourrit de bois en décomposition.