3. Gestion et conservation de la biodiversité et de l'agrodiversité

3.3. La préservation de l'agrodiversité


Depuis les années 1950, la tendance est clairement à l’érosion et à l’uniformisation des races animales et des variétés végétales. De nombreuses races et variétés anciennes ne sont aujourd’hui plus compétitives et sont peu à peu abandonnées et menacées de disparition. Alors que le choix de fruits et légumes présents sur nos marchés va en diminuant, on assiste depuis une ou deux décennies à une sensibilisation de l’opinion à ces questions et à la multiplication d’initiatives pour préserver le patrimoine animal domestique et le patrimoine végétal cultivé, notamment fruitier. [F32]


Aujourd’hui, la majeure partie de nos variétés cultivées, mondialisation oblige, sont des variétés étrangères bien adaptées à une agriculture productiviste et aux circuits modernes de commercialisation. Par ailleurs, les pratiques culturales ont fortement changées. Vignobles et vergers, qui étaient autrefois très fréquemment associés, sont aujourd’hui totalement séparés. On peut aussi citer les arbres fruitiers en échalas (pommiers, poiriers et cerisiers), par exemple en Ariège et dans le Pays Basque. Les prés-vergers, notamment de pommiers, ont aussi été largement abandonnés, voire arrachés du fait de la mécanisation. Le bocage, aux haies souvent enrichies de fruitiers, a aussi fortement subi les effets de la « modernisation » des exploitations et du remembrement, le même sort a été réservé aux châtaigneraies des massifs anciens du sud de la France.

L’identification des variétés végétales traditionnelles est assez complexe et repose sur plusieurs éléments : écrits anciens, notamment les ouvrages « pommologiques » des XVIIIe et XIXe siècles (Olivier de Serres, Duhamel, Leroy…), contenant des descriptions de différentes variétés fruitières. Mais on est souvent confronté à des problèmes de vocabulaire ou de représentation de ces variétés. De plus, les descriptions sont souvent incomplètes (il faut souvent plus d’une trentaine de caractères pour décrire chaque variétés).

Par ailleurs, en vue de leur commercialisation, les variétés les plus intéressantes bénéficient d’une inscription dans un catalogue officiel CTPS créé en 1932 pour le blé tendre, puis 10 ans plus tard pour les variétés végétales (Le patrimoine fruitier, 1999). Ce catalogue est aujourd’hui géré par l’INRA1 et le CTIFL2 ; il permet d’obtenir une certification des nouvelles variétés créées. Les premières collections variétales ont été réalisées dans les années 1950-1960 à l’initiative de l’INRA, essentiellement dans le but de constituer un patrimoine génétique exploitable pour la création et la sélection de nouvelles variétés.

La prise de conscience de la perte de cette biodiversité a d’abord été le fait de quelques individus et du réseau associatif3 (Croqueurs de pommes, Fruits Oubliés, Sauve qui pomme, Conservatoire d’Aquitaine…), ou bien de petits agriculteurs sensibles à leur patrimoine.

Ce n’est que vers le début des années 1980 que des organismes de recherche comme l’INRA, le BRG (Bureau des Ressources Génétiques), l’AFCEV (Association Française pour la Conservation des Espèces Végétales), les Conservatoires Botaniques Nationaux ou les Parcs Naturels Régionaux se sont fortement préoccupés de la conservation du patrimoine biologique régional. Au plan international, l’IPGRI (International Plant Genetic Ressources Institute) fédère les différents acteurs de la conservation du patrimoine génétique cultivé, notamment au niveau européen.

La protection des variétés anciennes répond à plusieurs motifs : conservation d’un patrimoine local ancien, préservation d’une ressource génétique mobilisable dans la recherche de variétés résistantes aux maladies, rôle culturel des fruits ou légumes au cours de l’histoire, devoir de mémoire vis-à-vis des anciens, idée (pas toujours fondée) que les variétés anciennes sont plus rustiques et de meilleur qualité sur le plan gustatif, face à la standardisation des produits actuels…

 

3.3.1. Des savoirs agroécologiques locaux menacés par la mondialisation


Essentiel 4 : Le renouveau de la châtaigne

Les « savoirs écologiques locaux » (en anglais TEK pour Traditional Environemental Ecological Knowledge) correspondent à des connaissances accumulées au fil des générations. On préfère utiliser les termes de local ou d'autochtone plutôt que celui d'indigène, car ils sont beaucoup plus larges. Il s'agit de savoirs très empiriques qui varient en fonction des différentes sociétés et des individus. Ce sont souvent aujourd'hui les petits agriculteurs des régions pauvres qui continuent de sélectionner leurs meilleures semences, au sein de variétés traditionnelles. On estime leur nombre à 1,4 milliards de personnes, qui gèrent les deux tiers des surfaces agricoles du monde. Ils conservent ainsi, au sein de leurs champs, une exceptionnelle agrodiversité et une grande diversité génétique. Les pratiques agroécologiques contribuent aussi à la diversité paysagère des espaces ruraux (rizières, cultures en terrasses, cultures étagées…). L'homogénéisation des pratiques agricoles mondiales contribue à la disparition de cette diversité (monocultures destinées à l'exportation : soja, palmier à huile, hévéa…) et de nombreux savoirs traditionnels (plantes médicinales, techniques de multiplication…). Elle entraîne à court terme une dépendance accrue vis-à-vis des grands producteurs de semences (OGM, semences hybrides de maïs…). Ce n'est cependant que très récemment que l'on a commencé à prendre en compte les services environnementaux rendus par ces populations d'agriculteurs, où les femmes jouent un rôle important (Guillerme, 2005).

 

3.3.2. Conservation in-situ et ex-situ


La conservation in-situ (conservation au champ) permet seule de préserver l'ensemble de la biocénose et du biotope associés à la plante ou à l'animal. C'est aussi le seul moyen de conserver des plantes à multiplication végétative ou des animaux dans leur milieu. C'est le cas de certains arbres (arboretum) ou arbustes (fruticetum). L'avantage est une durée de vie accrue des individus. La conservation in-situ recouvre aussi la préservation de variétés végétales ou de races animales au sein même des exploitations agricoles. [F33]


La conservation ex-situ permet de préserver les espèces les plus menacées hors de leur cadre habituel de vie. Elle peut théoriquement s'appliquer à la totalité des espèces vivantes. Il peut s'agir de la culture des végétaux dans des sites préservés, dans le cadre de conservatoires botaniques. La préservation ex-situ peut également être réalisée au sein de vergers conservatoires ou de collections. Dans la seule région Midi-Pyrénées, des vergers conservatoires ont été créés à Puycelsi dans le Tarn (fruits à pépins et à noyaux), Rignac (châtaigniers) et Paulhe (cerisiers) en Aveyron, Gimont (figuiers) et Caussens (vigne) dans le Gers. [F34]


La concentration d'un grand nombre d'individus d'une même espèce sur un petit espace peut cependant poser des problèmes sanitaires (propagation de maladies). Il existe malheureusement peu de conservatoires pour les légumes et les fleurs alors que, du fait de leur faible pérennité, ce sont probablement les variétés les plus menacées, mais aussi les plus difficiles à préserver… Parmi les rares exemples, citons en France la Roseraie du Val-de-Marne à l'Haÿ-les-Roses, créée à la fin du XIXe siècle par Jules Gravereau, et qui renferme aujourd'hui plus de 3000 variétés, pour une large part anciennes, ainsi que des espèces botaniques. [F35]


Concernant les animaux, les zoos permettent la réintroduction d'espèces dans des lieux d'où elles avaient disparu. Ils peuvent aussi contribuer à protéger des espèces dont l'habitat a été entièrement détruit, ou qui sont menacées de disparition à très court terme. La conservation ex-situ passe aussi par des banques de graines, des banques d'embryons, par la cryo-congélation (graines, pollen, culture de tissus...), par la lyophilisation, etc. (collections de gènes)... Les CIRA (Centres Internationaux de Recherche Agronomique) constituent l'un des réseaux de banques de gènes les plus importants. Cette méthode est surtout utilisée pour des espèces ayant un intérêt économique ou esthétique. La banque de semences végétales la plus riche se trouve dans l'archipel de Svalbard, au nord de la Norvège. Constituée de trois salles souterraines reliées à la surface par un tunnel, elle a été inaugurée en 2008 et renferme plus de 500 000 variétés de plantes cultivées. Près de Londres, la banque de graines du millénaire de Kew préserve 3,5 milliards de graines de près de 25 000 espèces de plantes. Mais ces dernières solutions présentent de nombreux inconvénients. Par exemple, elles soustraient l'espèce conservée aux processus de l'évolution naturelle. La conservation ex-situ est aussi à la merci de nombreux aléas : coupures de courant… ou de crédits, départ à la retraite des responsables, effets de mode... Ce procédé est aussi coûteux car il faut une logistique importante et la viabilité des organes stockés est limitée.

 

3.3.3. Innovations et diffusion de nouveaux savoirs agroécologiques


De nouvelles pratiques, plus respectueuses de l'environnement commencent à se développer. L'agriculture se veut plus « raisonnée », par une meilleure maîtrise des apports d'intrants. Les labours ne sont plus systématiques et les semis « directs » se développent, ce qui pénalise moins les sols. On associe également les légumineuses (trèfle, luzerne, sainfoin) aux prairies pour bénéficier de leur apport d'azote. Certaines pratiques bannissent tout apport chimique, comme les réseaux d'agricultures biologiques qui bénéficient de nombreux labels. La lutte biologique permet de contrôler les maladies et les parasites, en utilisant par exemple des prédateurs naturels comme les coccinelles pour lutter contre les pucerons, ou bien des souches hypovirulentes contre le chancre du châtaignier. [F36]


De même, des cultures dérobées (moutarde, phacélie), permettent d'avoir une couverture végétale permanente et de lutter contre l'érosion des sols, tout en constituant un engrais naturel (engrais vert). Le BRF (bois raméal fragmenté), issu du broyage des déchets de taille des haies, peut être utilisée pour le paillage de certaines cultures pérennes. Dans les pays en développement, certaines associations (Kokopelli) encouragent l'utilisation de semences traditionnelles afin de soustraire les paysans à la dépendance des grandes multinationales productrices de semences. En France, la ferme de Sainte Marthe, en Sologne, dirigée par Philippe Desbrosses, diffuse des semences de variétés anciennes, pourtant officiellement interdites à la vente. Au niveau de l'élevage, des règles de respect du bien être animal commencent à être instituées avec un espace vital plus important dans le cadre des élevages intensifs et un meilleur suivi de chaque individu. La sylviculture tend également à mieux prendre en considération la biodiversité, en limitant la monoculture forestière. Certaines forêts sont mêmes labellisées : 130 millions d'ha dans 80 pays bénéficient même du label FSC (Forest Stewardship Council) fondé par le WWF4 en 1993.

 

1 INRA : Institut National de la Recherche Agronomique.

2 CTIFL : Centre Technique Interprofessionnel des Fruits et Légumes

3 Marchenay P. , 1987, A la recherche des variétés locales de plantes cultivées, BRG et région PACA, 212 p.

4 WWF : World Wildlife Fund, Fonds Mondial pour la Nature.