1.1. L'émergence d'un concept
1.1.1. Quelques jalons d'une histoire récente
L’acte de naissance du concept de biodiversité est un colloque sur la diversité biologique tenu à Washington en 1986, dont les actes furent publiés deux ans plus tard par E.O. Wilson et F.M. Peter sous le titre BioDiversity. Ce livre, aujourd’hui reconnu comme fondateur, a été traduit dans diverses langues et complété par de nombreux articles scientifiques.
La Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement, tenue à Rio de Janeiro en 1992, va apporter à la biodiversité une première reconnaissance planétaire. La Convention sur la diversité biologique est un gros texte de 80 pages, ayant valeur de traité international, signé aujourd’hui par 190 pays. S’y trouve une définition désormais classique de la biodiversité : « la variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie : cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes » (article 2 de la convention).
Les années 1990 voient le développement rapide des biotechnologies, qui suscitent un mélange d’espoirs et d’inquiétudes au sein des opinions publiques, notamment à propos de la question des organismes génétiquement modifiés (OGM). C’est dans ce contexte qu’est adopté en 2000 le protocole international de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques, qui rentre en application en 2003. Le but est de garantir la sécurité lors de la manipulation, du transport et de l’utilisation d’OGM.
La France lance en 2004 sa Stratégie nationale pour la biodiversité, déclinaison à l’échelle nationale des orientations définies dans la Convention sur la diversité biologique, avec notamment l’objectif d’enrayer la perte de biodiversité d’ici 2010. Le bilan de cette action est cependant mitigé, d’où l’élaboration d’une nouvelle stratégie pour la période 2011-2020, qui met l’accent sur la mobilisation des acteurs locaux.
1.1.2. De la nature à la biodiversité
La diversité du vivant a pourtant été reconnue bien avant la fin du XXe siècle. Beaucoup plus qu’une réalité établie de longue date par les scientifiques, la biodiversité traduit plutôt un nouveau regard porté sur cette réalité, dans un contexte d’inquiétudes tous azimuts quant à la dégradation de l’environnement. Patrick Blandin a montré, dans un récent essai, le glissement progressif, à la fin du XXe siècle, de la « protection de la nature » au « pilotage de la biodiversité » (Blandin, 2009). Plusieurs raisons peuvent expliquer cette évolution lexicale.
Il y a d’abord un changement d’échelle : si les écologues et, avant eux, les botanistes et les zoologistes, prenaient en compte la diversité des espèces, c’était principalement dans le cadre d’études portant sur des espaces limités. La biodiversité, elle, est d’emblée globale, planétaire. Elle n’est que l’un des aspects d’un changement de notre relation au monde, que traduit également l’organisation au niveau international des différents « sommets de la Terre » (Rio de Janeiro en 1992, Johannesburg en 2007). L’écologue Robert Barbault définit du reste joliment la biodiversité comme le « tissu vivant planétaire » (2010). « Tissu », car tout est lié au sein du monde vivant.
L’approche en termes de biodiversité apparaît en second lieu plus « scientifique » que l’entrée par la nature. La nature, les anthropologues l’ont clairement montré, est éminemment culturelle : la nature d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier, la nature des uns n’est pas celle des autres. La biodiversité est universelle : n’importe quel habitant de la planète peut identifier des plantes ou des animaux différents. La nature ne se mesure pas, alors qu’on peut mesurer la biodiversité, dénombrer des espèces, calculer des taux d’extinction, etc. même si l’entreprise s’avère, comme on le verra, délicate.
Enfin, la biodiversité est au cœur des relations entre l’homme et son environnement. L’apparition du mot dans les années 1980 coïncide avec le développement d’inquiétudes au sujet de la destruction des milieux « naturels », notamment les forêts tropicales. L’évocation de la biodiversité est ainsi d’emblée associée aux menaces que l’homme fait peser sur le vivant. Inversement, la biodiversité est une ressource pour l’homme : elle lui fournit de nombreux services, à commencer par sa nourriture.
1.1.3. Les déclinaisons de la biodiversité
Essentiel 2 : Gestion des zones humides dans le sud-ouest de la France
La simple observation des êtres vivants et des différents milieux naturels, la constatation des différences entre individus donne une idée de la diversité biologique. Pourtant, cette notion est plus complexe qu’il n’y parait. Elle s’exprime à tous les niveaux d’organisation biologique et à toutes les échelles d’espace et de temps, du génome à l’écosystème, de la parcelle au paysage, de la microseconde au siècle.
La diversité spécifique ou taximomique est la plus familière. Elle s’exprime par le nombre d’espèces vivantes et la position de ces espèces à l’intérieur de la grande classification du vivant : la taxinomie. La définition de l’espèce est assez controversée. Elle s’est basée jusqu’au XVIIIe siècle principalement sur la ressemblance physique, avant que le critère ne devienne la possibilité pour des individus de se reproduire entre eux et d’avoir une descendance fertile. Un tigre et une lionne peuvent se reproduire, mais leur descendant, le tigron, est stérile. Ce critère n’est cependant valable que pour les organismes à reproduction sexuée. Pour les bactéries par exemple, on utilise des critères biochimiques [F2-1, F2-2, F2-3, F2-4].
La diversité génétique traduit la diversité des gènes et de leurs associations. Au sein d’une même espèce, on peut distinguer des groupes d’individus qui sont soit des populations, soit des écotypes, soit des variétés, soit des races, soit des souches... [F3-1, F3-2, F3-3]
La diversité génétique est à la base de la capacité d’évolution des espèces vivantes dans la nature. C’est elle aussi qui permet aux hommes de modeler les espèces domestiques en fonction de ses besoins.
La diversité génétique au sein d’une population d’une espèce augmente avec la taille de son aire de répartition. Elle est très courante même si elle n’est pas forcément visible phénotypiquement. Toutefois, au delà d’une certaine taille, la loi de Hardy-Weinberg implique que dans une population panmictique (croisements au hasard), la proportion des allèles1 et des génotypes est constante. En revanche, si l’effectif de l’espèce descend trop bas, son patrimoine héréditaire ne permet plus de variabilité et rend alors difficile l’adaptation à tout changement du milieu. L’espèce est alors menacée (rhinocéros de Sumatra, ours des Pyrénées...).
Aucune espèce ne vit isolée : elle s’intègre toujours à un écosystème, c'est-à-dire un ensemble d’organismes vivants formant une unité fonctionnelle, par leurs interactions entre eux (par exemple, les insectes pollinisateurs des plantes) et par leurs interactions avec le biotope : climat, eaux, roches. La diversité écosystémique ou paysagère existe à toutes les échelles, des macroécosytèmes (la forêt boréale) à des écosystèmes très localisés tels qu’un bosquet, une mare, une haie [F4-1, F4-2, F4-3].
Le terme d’agrodiversité est un peu moins courant que celui de biodiversité. On peut en faire, soit une composante à part entière de la biodiversité, soit une forme de diversité « autonome ». L’agrodiversité recouvre deux choses :
- d’une part, l’ensemble des plantes cultivées et des animaux d’élevage, qui se déclinent en variétés différentes (pour les plantes) et en races différentes (pour les animaux). Ce processus de création de variétés et de races nouvelles s’est étalé sur plusieurs millénaires. Du maïs, plante d’origine tropicale, on a ainsi créé des variétés capables de prospérer jusque dans le nord de la France.
- d’autre part, l’ensemble des paysages agricoles produits par l’homme au cours de l’histoire : openfields, bocages, cultures en terrasses…
1 Les différentes formes d’un même gène.